6.2. Les applications à venir du logement d’abord
Le logement d’abord vise un objectif précis, mettre un terme au sans-abrisme des personnes ayant des besoins élevés en leur procurant rapidement un logement et des services d’accompagnement intensifs. Les différentes manières d’utiliser cette approche peuvent être développées mais sa fonction et son rôle fondamental sont fixes ; l’approche ne vise pas les groupes de personnes sans domicile qui ont des besoins limités d’accompagnement, et n’a pas non plus vocation à être la seule composante d’une stratégie efficace de lutte contre le sans-abrisme.
Soulignons que bien que certains services tirent certaines de leurs idées du logement d’abord, en utilisant par exemple un logement ordinaire et des services d’accompagnement de faible intensité pour aider des personnes sans domicile qui n’ont pas de besoins élevés d’accompagnement (on les appelle parfois des services dirigés vers le logement ou des services d’accompagnement au logement), il ne s’agit pas de services de logement d’abord. L’utilisation de ces services précède l’introduction du logement d’abord en Europe. Dans certains pays européens, on a quelquefois avancé l’argument selon lequel le logement d’abord n’était pas nouveau, parce que ces services existaient déjà. Il peut toutefois y avoir des différences importantes entre ces services de faible intensité et le logement d’abord en termes de principes clés, d’intensité et de durée de l’accompagnement.
L’utilisation généralisée du logement d’abord a des implications potentielles pour certains services existants d’aide aux personnes sans domicile. Il n’est pas question que le logement d’abord puisse ou doive remplacer tous les services existants d’aide aux personnes sans domicile, parce que cette approche n’est conçue que pour le groupe de personnes sans domicile qui ont des besoins élevés. De toute évidence, le logement d’abord surpasse certains modèles existants qui visent à mettre fin au sans-abrisme chez les personnes ayant des besoins élevés d’accompagnement (voir le chapitre 1). Dans certains cas, en Finlande par exemple, les prestataires de services d’aide aux personnes sans domicile ont modifié la manière dont ils fournissaient les services et sont passés d’un modèle dit «par paliers» à l’approche du logement d’abord. Ils ont ainsi pu observer une amélioration de l’efficacité de leurs services((Pleace, N., Culhane, D.P., Granfelt, R. et Knutagård, M. (2015) The Finnish Homelessness Strategy: An International Review Helsinki: Ministry of the Environment https://helda.helsinki.fi/handle/10138/153258)).
6.2.1. On peut citer parmi les futures applications possibles du logement d’abord:
- L’utilisation préventive du logement d’abord. Cette approche peut être utilisée comme moyen de réinsertion des personnes ayant des besoins élevés d’accompagnement qui sortent d’une institution telle qu’un hôpital psychiatrique, une prison ou un logement accompagné de longue durée. Certains services aux États-Unis travaillent avec des personnes qui sortent d’hôpitaux psychiatriques et qui sont évaluées à haut risque de se retrouver sans domicile ou qui ont un passé de sans-abrisme((Tsemberis, S.J. (2010) Housing First: The Pathways Model to End Homelessness for People with Mental Illness and Addiction Minneapolis: Hazelden.)).
- L’utilisation de modèles spécifiques du logement d’abord pour des groupes particuliers de personnes sans domicile. Il s’agit d’un autre domaine qui peut être exploré au niveau stratégique. Citons par exemple:
- Les femmes sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement. Il existe des données probantes faisant état du fait que les femmes ayant des besoins élevés d’accompagnement connaissent souvent des situations de sans-abrisme différentes de celles des hommes, en ce sens qu’elles évitent souvent d’intégrer un service et peuvent faire appel à des relations informelles et quelquefois précaires pour être hébergées((Mayock, P., Sheridan, S. et Parker, S. (2015) « It’s just like we’re going around in circles and going back to the same thing … »: The dynamics of women’s unresolved homelessness Housing Studies DOI:10.1080/02673037.2014.991378)). Elles devraient pouvoir avoir facilement accès aux services de logement d’abord car celui-ci en procurant un logement à ces femmes, leur permet de se sentir plus en sécurité que dans d’autres types de services d’aide aux personnes sans domicile. La situation des femmes, qui implique souvent de la violence conjugale et d’autres types d’abus, invite à développer une approche spécifique de logement d’abord, dont s’occuperaient des femmes spécialement formées à cet effet. À Manchester au Royaume-Uni, l’organisation Threshold Housing a développé un service de logement d’abord pour les femmes sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement qui ont été en contact avec le système judiciaire((http://www.thp.org.uk/services/housing-first)).
- Les jeunes ayant des besoins élevés d’accompagnement et à risque de se retrouver sans domicile ont également besoin d’un accompagnement spécifique. Cela s’explique ici aussi par le fait que leurs besoins, leurs caractéristiques et leur expérience sont différents de ceux des autres personnes sans domicile((Quilgars, D., Johnsen, S. et Pleace, N. (2008) Review of Youth Homelessness in the UK, York: Joseph Rowntree Foundation https://www.jrf.org.uk/report/youth-homelessness-uk)). Les jeunes sans domicile ont, dans leur grande majorité, été en contact avec les services sociaux, vécu dans une famille d’accueil ou dans des centres d’accueil pour enfants et eu des expériences négatives au cours de leur enfance.
- Les familles ayant des besoins élevés et complexes peuvent être accompagnées par le logement d’abord. Un service de logement d’abord pourrait prendre en charge les besoins spécifiques de ces familles, en comprenant leurs besoins et en accompagnant tous ses membres, notamment les enfants, et pas uniquement une personne((Jones, A., Pleace, N. et Quilgars, D. (2002) Firm Foundations: an Evaluation of the Shelter Homeless to Home Service, London: Shelter. https://england.shelter.org.uk/__data/assets/pdf_file/0020/39521/Firm_Foundations.pdf)). Les besoins de ces ménages en termes de pathologies mentales et physiques et de consommation de drogue/d’alcool sont parfois similaires à ceux de personnes sans domicile isolées, mais la forme de l’accompagnement requis pour une famille peut être différente.
Les anciens délinquants ayant des besoins élevés d’accompagnement peuvent avoir besoin d’un accompagnement spécifique à leur sortie de prison. Le logement d’abord pourrait, dans ce cas, être adapté ou ajusté pour répondre au type de besoins de ce public. Un autre exemple pourrait être les personnes sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement qui ont eu une expérience dans l’armée (vétérans) et qui pourraient bénéficier du logement d’abord dans le cadre d’un modèle spécifique.