6.1. Les rôles stratégiques du logement d’abord
6.1.1. L’intégration du logement d’abord dans les stratégies de lutte contre le sans-abrisme
Les recherches ont permis de montrer que le sans-abrisme ne doit pas être considéré comme le simple résultat des actions individuelles d’une personne ou de troubles psychiques non traités. Le sans-abrisme prend des formes variées en Europe. Certaines personnes sans domicile ne consomment ni drogue ni alcool de façon excessive et ne souffrent pas non plus de troubles psychiques. Leur situation est principalement liée à leur situation financière, à leur isolement social, à un soutien social faible et des difficultés en termes d’accès aux services((Busch-Geertsema, V., Edgar, W., O’Sullivan, E. et Pleace, N. (2010) Homelessness and Homeless Policies in Europe: Lessons from Research, Brussels, Directorate-General for Employment, Social Affairs and Equal Opportunities. Voir reference 91)). Le sans-abrisme varie également en fonction des groupes de personnes. Les femmes sans domicile, par exemple, le sont plus vraisemblablement parce qu’elles ont fui la violence conjugale. Elles évitent parfois certains services d’aide aux personnes sans domicile et préfèrent s’en remettre aux relations informelles pour trouver un hébergement temporaire((Baptista, I. (2010) ’Women and Homelessness in Europe‘ in O’Sullivan, E., Busch-Geertsema, V., Quilgars, D. et Pleace, N. (eds.) Homelessness Research in Europe Bruxelles: FEANTSA.)). Elles peuvent dès lors avoir besoin de services différents de ceux que l’on propose aux hommes sans domicile célibataires. Certains groupes de personnes sans domicile, comme les adolescents qui ont vécu dans des institutions sociales de protection de l’enfance, les anciens détenus et les vétérans de l’armée peuvent avoir besoin d’une forme d’accompagnement spécifique.
Prévenir et réduire le nombre de sans-abri implique de mettre en œuvre un éventail de politiques et de services, notamment pour favoriser l’accès au logement, permettre le développement de nouveaux logements à un prix acceptable, et proposer des services de prévention et un éventail d’autres services d’accompagnement. Certaines personnes sans domicile ont uniquement besoin de conseils et peut-être un accompagnement à court terme pour prévenir ou rapidement mettre un terme à une situation de sans-abrisme. D’autres personnes peuvent avoir besoin d’un accompagnement de faible intensité pendant quelques semaines, ou quelques mois, pour les aider à trouver un logement et à s’y maintenir. Certaines autres encore peuvent avoir besoin d’un accompagnement plus important pendant une période plus longue, soit pour sortir de cette situation, soit pour éviter de se retrouver sans domicile. Les données sur le sans-abrisme en Europe sont souvent limitées, mais il existe des données probantes qui montrent que dans les pays européens qui ont des stratégies très intégrées de lutte contre le sans-abrisme et qui proposent un éventail de services bien coordonnés, comme le Danemark et la Finlande, le nombre de sans-abri est plus faible((Busch-Geertsema, V., Benjaminsen, L., Filipovič Hrast, M. et Pleace, N. (2014) Extent and Profile of Homelessness in European Member States: A Statistical Update Bruxelles: FEANTSA http://housingfirstguide.eu/website/wp-content/uploads/2016/04/feantsa-studies_04-web2.pdf)).
On peut trouver sur le site web de la FEANTSA un guide pour l’élaboration d’une stratégie intégrée de lutte contre l’exclusion liée au logement((http://www.feantsa.org/spip.php?article631&lang=fr)). Un bilan de la stratégie finlandaise de lutte contre le sans-abrisme, qui a obtenu de bons résultats, a été publié en 2015((Pleace, N., Culhane, D.P., Granfelt, R. et Knutagård, M. (2015) The Finnish Homelessness Strategy: An International Review Helsinki: Ministère de l’Environment https://helda.helsinki.fi/handle/10138/153258)). On peut trouver un éventail de réflexions sur les stratégies de lutte contre le sans-abrisme en Europe, notamment des descriptions et des évaluations critiques, dans le European Journal of Homelessness((Le European Journal of Homelessness est également sur Google Scholar.)).
6.1.2. Le logement d’abord combiné avec d’autres services
Le logement d’abord n’est pas conçu pour apporter une solution à toutes les formes de sans-abrisme. Cette approche n’a pas non plus vocation à fonctionner de façon isolée : elle doit être soutenue par le secteur social, le secteur de la santé et d’autres services d’aide aux personnes sans domicile. Dans le cadre d’une stratégie intégrée de lutte contre le sans-abrisme, le logement d’abord travaille auprès de personnes dont on ne peut empêcher le sans-abrisme ou dont les besoins ne peuvent être pourvus uniquement par le biais d’un logement ou par le biais d’un logement et de services d’accompagnement de faible intensité.
L’homme qui est à l’origine du logement d’abord, le Dr. Sam Tsemberis, propose que cette approche joue un rôle dans le cadre d’une stratégie intégrée de lutte contre le sans-abrisme. Dans ce cadre, on propose aux personnes sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement et dont les besoins ne peuvent pas être pourvus par les services de logement d’abord d’intégrer un logement collectif ou communautaire de longue durée avec une équipe chargée de l’accompagnement sur place ou d’intégrer une institution de soins.
Voici le type de structure que peut avoir une stratégie de lutte contre le sans-abrisme:
- Des services préventifs, dans le cadre desquels on propose des conseils en matière de logement, un accompagnement et une aide pratique quant à l’accès au logement et des services d’accompagnement pour les personnes ayant des besoins plus élevés et à risque de devenir sans domicile.
- Des hébergements d’urgence pour les personnes qui deviennent subitement sans domicile, une étroite collaboration avec les services de prévention pour tenter d’éviter que l’expérience de sans-abrisme ne se prolonge ou ne se répète.
- Des services d’accompagnement de moindre intensité pour les personnes qui ont besoin d’accompagnement pour sortir d’une situation de sans-abrisme, mais dont les besoins peuvent être rapidement satisfaits si on leur procure rapidement un logement et des contacts limités avec un service de gestion des cas qui propose un accompagnement de faible intensité.
- Des services de logement d’abord pour des personnes sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement, en procurant rapidement un logement et un accompagnement intensif. Selon les éléments de preuve disponibles, le logement d’abord est efficace pour mettre un terme au sans-abrisme de la plupart des personnes sans domicile de ce groupe (voir le chapitre 1).
- Des modèles de logement accompagné proposant des logements collectifs ou communautaires avec une équipe d’accompagnement sur place, qui peut apporter un soutien à moyen et à long terme aux personnes sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement, dont les besoins ou les préférences ne peuvent être satisfaits par le logement d’abord.
Certains éléments de preuve montrent que certains pays européens comptent des personnes sans domicile de longue durée dont les besoins n’ont pas été satisfaits par les services existants d’aide aux personnes sans domicile. Dans des pays tels que le Royaume-Uni, on a pu constater l’existence d’un groupe de personnes sans domicile ayant recours aux services existants d’aide aux personnes qui sont sans domicile depuis une longue période ou de façon répétée, sans pour autant sortir de façon permanente de cette situation((Bretherton, J. and Pleace, N. (2015) Housing First in England: An Evaluation of Nine Services https://www.york.ac.uk/media/chp/documents/2015/Housing%20First%20England%20Report%20February%202015.pdf)). Le logement d’abord a la capacité de mettre un terme à ce type de sans-abrisme de longue durée en plus de pouvoir aider les personnes sans domicile ayant des besoins élevés, et qui passent de longues périodes dans la rue ou dans des centres d’hébergement d’urgence, à sortir de cette situation.
Au niveau stratégique, l’utilisation du logement d’abord peut:
- Réduire de manière significative le nombre de personnes qui sont sans domicile depuis une longue période ou de façon répétée et qui ont des besoins élevés d’accompagnement.
- Potentiellement réduire les coûts liés aux séjours de longue durée ou répétés des personnes sans domicile dans les services d’urgence et les services psychiatriques, le recours au système judiciaire et aux autres services d’aide aux personnes sans domicile.
- Permettre aux personnes sans domicile ayant des besoins élevés et complexes de vivre chez elles de façon stable.