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3.2. La santé et le bien-être

3.2.1.Organiser l’accompagnement

La santé et le bien-être des usagers sont en général traités selon l’une des deux approches suivantes. Le service basé sur le logement d’abord peut proposer deux formes d’accompagnement ou l’une des deux seulement:

  • La gestion intensive des cas (ICM), dans le cadre de laquelle on propose d’accompagner les usagers vers d’autres services sociaux et de santé (services du système ordinaire de prise en charge) pour répondre à leurs besoins dans ces différents domaines.
  • Le suivi intensif (ACT), qui peut répondre directement via les professionnels de l’équipes à de nombreux besoins, notamment en matière de soins psychiques, de prise en charge des problèmes de drogue, d’alcool ou de soins de santé physique et qui propose, aussi un accompagnement et un suivi pour aider la personne à accéder au traitement proposé par les services du système ordinaire de prise en charge. Cette approche tend à être utilisée auprès des personnes sans domicile ayant des besoins très élevés d’accompagnement.
  • Un service de logement d’abord qui propose à la fois une gestion intensive des cas (ICM) et un suivi intensif (ACT), ce qui constitue la base du modèle original du logement d’abord permettant aux usagers de passer de façon individualisée et souple d’un niveau d’accompagnement de type ACT (ou équivalent) au type ICM et vice versa((Tsemberis, S. (2010) Housing First: The Pathways Model to End Homelessness for People with Mental Illness and Addiction Minnesota: Hazelden.)).

Il n’existe pas de méthode unique pour proposer un accompagnement dans le cadre du logement d’abord. Lorsque le service de logement d’abord est axé sur la gestion des cas (ICM), une seule personne, qui peut avoir ou pas une formation sociale, accompagne l’usager et organise l’accès aux services de santé, d’aide sociale ou d’autres services au regard des besoins. Le membre de l’équipe accompagne également l’usager dans tout ce qui a trait à son logement pour l’aider à s’y maintenir (3.1) et l’aide aussi à s’intégrer socialement (3.3). Lorsqu’on utilise dans un service de logement d’abord une équipe de suivi intensif (ACT), elle peut être composée d’un psychiatre, d’un spécialiste de substances psychoactives, d’un médecin, d’une infirmière, d’un travailleur pair formé qui promeut le « rétablissement » (sur la base de son expérience similaire de vie) et de spécialistes en matière d’emploi et de reconnexion avec la famille. Les traitements et l’accompagnement peuvent quelquefois être proposés de façon directe, mais lorsqu’il existe de bons services externes accessibles, on peut utiliser un accompagnement de type gestion des cas  en parallèle.

Le logement d’abord fonctionne soit comme un système complet d’aide médico-sociale et proposer directement tous les traitements et l’accompagnement requis soit proposer une combinaison de traitements et d’accompagnement de type gestion de cas (ICM). Un service axé sur le logement d’abord fonctionne quelquefois à différents niveaux et de différentes façons en fonction des besoins de l’usager, ce qui reflète étroitement l’essence de cette approche souple et individualisée.

Les membres d’une équipe de logement d’abord peuvent avoir une formation et des compétences très diverses. La composition exacte de l’équipe peut varier, mais on trouve en général des personnes formées au travail social, qualifiées et ayant de l’expérience dans les services d’accompagnement aux personnes sans domicile et, lorsque l’on fait appel à une équipe ACT ou pluridisciplinaire, on fait également appel à des professionnels de la santé mentale, de l’alcoologie et de la toxicomanie,  des personnes spécialisées dans l’emploi et dans l’accompagnement par les pairs,  (qui ont été notamment en situation de sans-abrisme avant de travailler dans le cadre du logement d’abord). En 2015, la plupart des services de logement d’abord en Europe ont utilisé le modèle de gestion des cas (ICM). Cela s’explique par le fait que le logement d’abord a eu tendance à se développer jusqu’à présent dans les pays européens où l’État propose un grand nombre de services, notamment des services de santé mentale, d’alcoologie et d’addictologie, répandus et financièrement accessibles. Ces services sont donc facilement ou assez facilement accessibles via un accompagnement type gestion des cas (ICM). Certains pays européens ont toutefois des systèmes de santé publique bien moins développés et, au fur et à mesure de l’extension des services de logement d’abord en Europe, il se peut que le besoin se fasse sentir de proposer directement les traitements et d’être sur une approche de suivi intensif (ACT).

Il convient toutefois de préciser que même dans certains États où le niveau de protection sociale est très développée comme le Danemark, la France, la Suède et la Norvège, on utilise des équipes ACT dans certains services de logement d’abord((La majorité des services de logement d’abord sont de type ICM ou de type suivi intensif.)). Ceci peut s’expliquer par le fait que l’usager n’ai pas en demande de traitement – uniquement un logement – même s’il en a en réalité besoin et qu’il est quelquefois plus facile de convaincre une personne de se lancer dans un traitement une fois qu’elle se sent à l’aise et connaît celui ou celle qui va lui proposer le traitement. Dans ce genre de situations, il peut se révéler très utile que le psychiatre se rende au domicile de l’usager, ou qu’il ait une conversation dans un parc autour d’un café afin d’instaurer un climat de confiance avant de discuter du traitement.

Il peut donc s’avérer nécessaire de faire appel à une équipe pluridisciplinaire lorsque, dans le cadre du logement d’abord, on travaille avec des personnes sans domicile ayant des besoins très élevés et très complexes. On ne parvient pas toujours à répondre aux besoins très complexes et/ou très difficiles à satisfaire des usagers via des services traditionnels proposés en cabinet et non à domicile. Certains services traditionnels travaillent « en silo » (c’est-à-dire qu’ils fonctionnent indépendamment les uns des autres) alors que  l’usager a besoin d’être traité  de façon coordonnée pour sa pathologie mentale ou physique et ses problèmes de drogue/d’alcool. Les services classiques étant souvent proposés indépendamment les uns des autres, il peut s’avérer difficile de les coordonner, alors qu’une équipe fonctionnant selon le logement d’abord est conçue de manière à assurer une combinaison d’accompagnement et de traitements.

Dans certains pays européens, tous les services de santé dont un usager d’un service de logement d’abord a besoin peuvent être mis à sa disposition gratuitement du simple fait de son accès à des droits sociaux. Il peut toutefois être confronté à des obstacles pour obtenir ces services, notamment en raison de l’attitude négative de professionnels des services qui peut être observée à l’égard des personnes sans domicile ou de lourdeurs bureaucratiques. Les personnes sans domicile évitent également parfois les services de santé classiques parce qu’elles ont le sentiment d’être stigmatisées et s’attendent à ce qu’on refuse de les traiter, même si dans la pratique il est quasiment certain qu’on les soignerait((Quilgars, D. et Pleace, N. (2003) Delivering Health Care to Homeless People: An Effectiveness Review Edinburgh: NHS Scotland. http://www.healthscotland.com/uploads/documents/425-RE04120022003Final.pdf)). Le logement d’abord est efficace dans ces situations parce qu’il permet d’organiser l’accès d’un usager à tous les services de santé auquel il souhaite accéder, en assurant un accompagnement via une équipe de type gestion des cas (ICM). Le rôle clé du logement d’abord est de garantir que cet accès soit correctement organisé.

Dans le cadre du logement d’abord, lorsqu’on utilise une équipe pluridisciplinaire (ACT), on peut exercer un contrôle plus direct sur l’ensemble des traitements et de l’accompagnement proposés aux usagers que si l’on utilise une équipe de gestion des cas (ICM). Ceci s’explique par le fait que les membres de l’équipe pluridisciplinaire sont des employés du service de logement d’abord. Lorsqu’on adopte une approche ICM, le niveau de contrôle n’est pas le même parce que les membres de l’équipe travaillent principalement avec d’autres services.

Il convient d’être attentif à la coopération avec d’autres services, cela pouvant s’avérer difficile pour les services de logement d’abord. L’efficacité de ces services en termes de traitement et d’accompagnement fournis dépend en partie d’organisations externes sur lesquelles le service ne peut exercer aucun contrôle. Si ces services externes refusent de coopérer avec le service de logement d’abord ou s’ils subissent des réductions de financement, le service peut se retrouver lui-même dans une situation difficile au plan opérationnel. Ce risque est moindre quand les services de logement d’abord sont intégrés d’un plan ou d’une politique stratégique de réduction du sans-abrisme dans le cadre duquel on attend des services qu’ils coopèrent les uns avec les autres (voir le chapitre 7).

3.2.2. La gestion des besoins

Certaines personnes ont des besoins trop élevés par rapport à ce que peut proposer le logement d’abord. Le cas échéant, il convient de mettre en place des procédures afin de pouvoir transférer ces personnes vers un service qui leur convient mieux. Selon des données probantes récentes (2015) en provenance d’Europe et d’Amérique du Nord (voir le chapitre 1), les services de logement d’abord parviennent à procurer un logement à près de huit personnes sans domicile sur dix ayant des besoins élevés d’accompagnement.

Les raisons pour lesquelles il n’est pas possible d’accompagner quelqu’un dans le cadre du logement d’abord sont notamment liées à la question des prises de risques et à leur gestion par l’équipe. Une personne qui vit dans un logement ordinaire, par exemple, peut avoir besoin d’être accompagnée plus étroitement afin que l’on puisse garantir son bien-être, si l’on considère que le risque de suicide ou d’overdose est trop élevé, par exemple. Il peut ne pas être possible de mettre à la disposition de ces usagers un membre de l’équipe de logement d’abord qui soit constamment à leurs côtés pendant une longue période.

3.2.3. Le traitement et l’accompagnement fournis

Le traitement et l’accompagnement, qu’ils soient proposés directement par une équipe pluridisciplinaire (ACT) du service de logement d’abord ou organisés en coopération avec des services externes via la gestion des cas (ICM), peuvent comprendre:

  • Des services psychiatriques et de santé mentale. Ces services sont nécessaires parce qu’il est clairement établi que, dans un grand nombre de cas, les personnes sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement – partout en Europe – souffrent de troubles psychiques((Busch-Geertsema, V., Edgar, W., O’Sullivan, E. and Pleace, N. (2010) Homelessness and Homeless Policies in Europe: Lessons from Research, Brussels, Directorate-General for Employment, Social Affairs and Equal Opportunities. http://ec.europa.eu/social/BlobServlet?docId=6442&langId=en)). La qualité de la prise en charge sanitaire habituellement proposée aux personnes sans domicile peut varier fortement d’un service à l’autre et certaines d’entre elles n’ont jamais eu accès à un traitement avant d’entrer dans le programme de logement d’abord. Le type d’accompagnement proposé dépend des besoins de la personne et de ses préférences, mais le logement d’abord doit pouvoir, le cas échéant, avoir accès à un psychiatre, à un psychologue, à des infirmières psychiatriques et à des travailleurs sociaux.
  • Des services d’addictologie. Ces services sont nécessaires parce que des données probantes au niveau européen montrent que les personnes sans domicile ont un besoin élevé d’accompagnement concernant les questions de consommation de drogue et d’alcool((Voir ci-dessus)). Encore une fois, le choix du type d’accompagnement revient à l’usager, mais cela implique en général un addictologue qui va travailler dans le cadre de la réduction des risques (voir le chapitre 2) consistant à minimiser les dégâts causés par la consommation de drogue et d’alcool par le biais d’un accompagnement et d’encouragements, plutôt que par une injonction à des cures de  désintoxication et à la seule proposition d’abstinence aux substances psychoactives. L’objectif est que l’usager contrôle sa consommation. Dans le cadre du service de logement d’abord, on utilise la réduction des risques, mais on promeut également le choix et le fait que la personne soit au centre de l’accompagnement. Cela signifie que si une personne décide qu’elle veut se désintoxiquer ou tenter l’abstinence aux substances psychoactives, le service doit mettre en place ce service pour elle.
  • Des services cliniques. Un usager d’un service de logement d’abord peut avoir besoin des services d’une infirmière pour surveiller son état de santé et l’aider à prendre ses médicaments et son traitement. Un usager a également besoin d’avoir accès à un médecin de famille/un généraliste. Il peut aussi avoir besoin d’être accompagné d’un membre de l’équipe qui sera présent lors d’une consultation à l’hôpital, par exemple. L’usager peut aussi avoir besoin d’aide de la part du service pour avoir accès aux traitements les plus adaptés à sa situation. Quand un usager d’un service de logement d’abord est admis à l’hôpital pour un traitement, le service et l’hôpital doivent travailler de concert notamment afin de préparer la sortie de l’hôpital.
  • Des services liés aux soins personnels. Il s’agit de l’aide apportée à quelqu’un qui a une maladie invalidante ou qui est en situation de handicap. Certains usagers de services de logement d’abord peuvent avoir besoin d’aide pour s’habiller, se laver et préparer leurs repas.
  • De l’ergothérapie qui consiste à doter le logement d’équipements et de l’adapter pour permettre aux personnes souffrant de maladies invalidantes et en situation de handicap de vivre de manière plus autonome. Il peut être nécessaire de modifier la cuisine ou la salle de bains d’un usager ou d’apporter des changements lui permettant d’entrer et de sortir plus facilement de son logement, ou d’avoir accès à des équipements adaptés.
  • Une couverture 24h sur 24. Celle-ci doit être mise à la disposition d’un usager ayant des besoins élevés d’accompagnement. Cela signifie que les services de logement d’abord doivent être disponibles pendant les heures de travail et qu’une personne doit pouvoir réponde au téléphone en dehors des heures de travail sous forme d’astreinte et pouvoir répondre à l’urgence.
  • Des conseils et des informations en matière de santé, qui sont fournis par les membres de l’équipe, éventuellement avec un travailleur pair. Un travailleur pair est quelqu’un qui a une expérience directe du sans-abrisme et des besoins élevés d’accompagnement et qui est un membre du personnel formé. Les services de logement d’abord emploient quelquefois d’anciens usagers, ou des personnes qui ont eu un parcours similaire, dans le cadre d’une équipe ACT ou ICM.