4.3. Fournir un logement
Les usagers des services de logement d’abord peuvent exercer un choix en matière de traitement (voir les chapitres 2 et 3) et doivent également pouvoir exercer un choix quant au lieu et à la manière dont ils vont vivre. Il est clair que le choix du logement sera soumis à la disponibilité des logements et à ce que les usagers pourront se permettre financièrement((Dans certains cas, les services de logement d’abord paient le loyer des usagers, dans d’autres, le système d’aide sociale prévoit une aide au logement.)), mais généralement, un usager doit pouvoir s’attendre à:
- Pouvoir voir le logement avant d’accepter d’y emménager.
- Se voir proposer plus d’un choix de logement, c’est-à-dire qu’il doit avoir la possibilité de refuser le logement qu’on lui propose sans qu’il y ait de conséquence négative pour lui. Dans la pratique, trouver un logement idéal peut se révéler difficile pour un service de logement d’abord. Cela doit être exprimé clairement à chaque usager, mais il ne convient pas pour autant de ne proposer qu’un ou deux choix. Dans le cadre du logement d’abord, on ne doit pas retirer d’offre de logement ou d’aide sur la base d’un refus d’une ou de plusieurs offres de logement.
- Expliquer clairement quelles sont les conséquences financières liées au fait d’avoir son propre chez-soi et avoir l’occasion d’en discuter. Avant d’emménager dans leur logement, les usagers doivent comprendre quelles seront leurs obligations financières et de combien d’argent ils disposeront. Dans certains pays européens, où l’on alloue un revenu de base à quiconque est sans emploi, certaines personnes peuvent se retrouver avec moins d’argent à disposition que lorsqu’elles vivaient dans des hébergements d’urgence ou temporaires pour personnes sans domicile (parce qu’elles ont des frais de subsistance supplémentaires).
- Avoir un certain choix quant à la localisation du logement proposé.
- Disposer d’une certaine souplesse quant au mode de vie, à savoir avec un compagnon/une compagne, des amis ou d’autres personnes, plutôt que seul(e) dans un appartement. Certains services de logement d’abord en Italie, par exemple, accompagnent des familles et certains services en Angleterre accompagnent des couples (voir les annexes).
Un service de logement d’abord peut proposer un logement selon trois grands mécanismes:
- Via le secteur locatif privé ;
- Via le secteur locatif social (quand il existe des logements sociaux) ;
- Via la mise à disposition directe d’un logement, en achetant un logement, en construisant de nouveaux logements ou en utilisant le parc de logements existants.
Parmi les défis auxquels un service de logement d’abord peut être confronté, on peut citer:
- Le fait de trouver suffisamment de logements adéquats à des prix abordables dans des quartiers acceptables dans un marché du logement très tendu. Les régions où la croissance économique est élevée sont souvent des endroits où il est difficile de trouver suffisamment de logements de ce type. Le type de logements disponibles dans certaines régions (relativement peu de petits appartements) peut également constituer une difficulté.
- Quand il existe des logements sociaux, ces derniers sont parfois destinés à d’autres groupes de personnes que les sans-abri, ou la demande peut être très élevée et le temps d’attente pour l’obtention d’un logement très long.
- Il peut y avoir des problèmes de disponibilité, de prix et de qualité des logements du secteur locatif privé.
- Les bailleurs sociaux et privés peuvent être réticents à l’idée de loger des personnes anciennement sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement. Les propriétaires s’inquiètent d’éventuels problèmes à gérer avec d’anciens sans-abri, tels que des conflits avec les voisins ou des défauts de paiement.
- Les usagers ne peuvent parfois pas prétendre à suffisamment d’allocations sociales pour payer le loyer. Cela concerne davantage les pays européens qui ont des systèmes d’aide sociale limités que ceux qui ont des systèmes d’aide sociale étendus où différentes formes d’allocations de logement ou de revenu minimum garanti permettent de payer la totalité ou la quasi-totalité du loyer des groupes de personnes vulnérables ou dont le revenu est très faible. Dans les pays où les aides sociales sont plus limitées, les services de logement d’abord doivent trouver des sources de revenus pour payer le loyer de leurs usagers.
- On peut construire de nouveaux logements spécialement pour un service de logement d’abord, mais le coût de la construction (d’un nouveau logement) ou de la rénovation/réhabilitation d’un logement existant est considérable. Il est également possible d’acheter un logement, mais bien que cela puisse être moins cher que de construire ou de rénover, encore une fois, le coût peut se révéler trop élevé pour que cela constitue un choix réaliste.
- Le syndrome du « pas à côté de chez moi » lié à la stigmatisation des personnes sans domicile, qui peut amener certains habitants à essayer de mettre fin aux services de logement d’abord dans leur quartier. Les services de logement d’abord doivent parfois travailler avec les familles alentours en les informant, en les rassurant et si nécessaire en intervenant si un usager a causé des problèmes (et également en intervenant si un voisin se comporte de façon inadaptée vis-à-vis d’un usager du service).
- Le logement d’abord peut impliquer de travailler de façon souple et imaginative, mais il ne permet pas de résoudre les problèmes d’offre de logements adéquats et à prix abordables, et des problèmes structurels existent là où il n’y a simplement pas assez de logements adéquats à prix abordables pour toute la population.
Le logement d’abord est destiné aux personnes sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement. Les besoins des services de logement d’abord en termes de nombre de logements sont souvent quantitativement relativement faibles. Bien que les données sur le sans-abrisme en Europe soient incomplètes, il semble que, même dans une grande ville, un service de logement d’abord n’aurait probablement pas besoin de centaines de logements((Busch-Geertsema, V., Benjaminsen, L., Filipovič Hrast, M. and Pleace, N. European Observatory of Homelessness. FEANTSA Brussels (2014) http://housingfirstguide.eu/website/extent-and-profile-of-homelessness-in-european-member-states-a-statistical-update/)).
4.3.1. Travailler avec le secteur locatif privé
Le logement d’abord utilise le secteur locatif privé de différentes façons comme source de logements. Voici quelques indications pour utiliser au mieux le secteur locatif privé dans le cadre du logement d’abord:
- Inspecter et contrôler soigneusement les appartements/les studios pour s’assurer que les normes et la localisation conviennent.
- Vérifier que les contrats de location soient corrects et que l’usager soit complètement protégé par la législation relative à la sécurité d’occupation. Dans certains pays, les baux du marché locatif privé sont plus longs et plus sûrs que dans d’autres.
- Vérifier que le prix soit abordable, en tenant compte du niveau présent du loyer et de son évolution possible pour que l’usager puisse payer ses autres frais de subsistance. Quand un service de logement d’abord demande une contribution financière à un usager, il convient de vérifier régulièrement qu’il peut continuer à l’assumer. Toute contribution financière prévue doit être clairement expliquée à un usager avant qu’il n’accepte un logement. Certains services demandent une contribution de 30% du revenu pour le loyer. Dans certains pays, ce système n’est pas pratiqué parce que l’usager peut avoir un revenu très faible et le service de logement d’abord peut être amené à payer ou à subventionner le loyer. Dans d’autres pays, l’aide sociale permet de prendre en charge le loyer de l’usager, ou une grande partie de celui-ci, ce qui veut dire que le service de logement d’abord ne doit contribuer que dans une faible proportion aux frais de loyer ou n’a pas du tout de frais directs liés au loyer.
- La négociation, les discussions et la pédagogie vis-à-vis des bailleurs privés et/ou des agences représentant un ou plusieurs bailleurs du secteur privé. Il ne faut pas présumer de la réticence ou du refus des bailleurs privés de travailler avec un service de logement d’abord. Selon certains services de logement d’abord, une partie au moins des bailleurs privés est prête à travailler avec des services de logement d’abord dans un souci de citoyenneté((http://www.shp.org.uk/story/housing-first-provides-stability-chronically-homeless-people)).
- Offrir un service de gestion locative aux bailleurs privés. Cela peut constituer une motivation forte. Un service de logement d’abord peut offrir la garantie que le loyer sera payé, que tous les problèmes tels que les conflits avec les voisins seront gérés. Le bailleur pourra peut-être aussi se charger de l’entretien, des réparations ou de la rénovation du logement. Si un bailleur privé n’a rien d’autre à faire que d’encaisser un loyer qui est garanti, il surmontera facilement ses éventuelles inquiétudes quant au fait de louer son bien à une personne sans domicile. Certains services de logement d’abord proposent d’être directement responsables du bail et sous-louent le logement à l’usager. C’est dès lors le service plutôt que l’usager qui est juridiquement responsable de tout problème lié au bail.
- Offrir une motivation financière aux bailleurs du secteur locatif privé. Cela peut être une stratégie possible, mais dans certains pays, comme la Finlande et le Royaume-Uni, l’expérience a montré qu’en matière de motivation financière, le marché locatif privé tend à augmenter le montant du loyer quand il s’agit de loger des personnes sans domicile((Wilson, W. (2015) Households in Temporary Accommodation (England) House of Commons Briefing Paper Number 02110 www.parliament.uk/briefing-papers/sn02110.pdf)).
À Lisbonne, au Portugal, Casas Primeiro, qui utilise le secteur locatif privé obtient apparemment de très bons résultats. Les usagers font état((Ornelas, J., Martins, P., Zilhão, M.T. et Duarte, T. (2014) Housing First: An Ecological Approach to Promoting Community Integration European Journal of Homelessness (8.1), 29-56 http://housingfirstguide.eu/website/housing-first-an-ecological-approach-to-promoting-community-integration/)):
- D’un sentiment de contrôle sur leur espace de vie.
- De l’intimité dont ils jouissent dans leur logement.
- Du fait que leur logement est un lieu apaisant et calme.
- Du fait que leur logement dispose de tous les équipements dont ils ont besoin.
Casas Primeiro mentionne également le fait que de nombreux usagers louant des appartements privés se sentent également chez eux dans leur quartier, sans que cela soit vrai pour tous.
À Londres et ailleurs au Royaume-Uni, le bilan en matière d’utilisation du secteur privé dans le cadre du logement d’abord est beaucoup plus mitigé pour les raisons suivantes:
- La précarité de l’occupation. La plupart des logements locatifs privés ont des baux de courte période (6 ou 12 mois). Pendant la période du bail, les locataires sont protégés contre l’expulsion, mais cette protection juridique disparaît à la fin de la période du bail. En d’autres termes, une personne jouissant d’un bail de 12 mois dans le secteur locatif privé n’a aucune protection juridique si on lui demande de partir après la période de 12 mois.
- Les loyers élevés à certains endroits du Royaume-Uni rendent la grande majorité des logements privés inaccessibles à quelqu’un qui bénéficie d’allocations sociales. Les logements décents dans des endroits attractifs sont inabordables pour les usagers des services de logement d’abord.
4.3.2.Travailler avec le secteur locatif social
Le logement social prend différentes formes en Europe et n’est pas disponible partout((Whitehead, C. et Scanlon, K. (eds) Social Housing in Europe London: LSE.http://www.lse.ac.uk/geographyAndEnvironment/research/London/pdf/SocialHousingInEurope.pdf)). Dans ce guide sur le logement d’abord, on définit le logement social comme étant un logement construit grâce à une subvention de l’État et/ou d’une association ou d’une ONG, qui offre une sécurité d’occupation et qui est un logement adéquat avec un loyer abordable.
Le logement d’abord travaille sur différents plans avec le secteur locatif social :
- En réalisant que, bien que le secteur locatif social puisse jouer un rôle important dans le logement des personnes sans domicile, cette question ne constitue pas la préoccupation unique des bailleurs sociaux((Pleace, N., Teller, N. et Quilgars, D. (2011) Social Housing Allocation and Homelessness Brussels: FEANTSA http://housingfirstguide.eu/website/wp-content/uploads/2016/04/feantsa_eoh-studies_v1_12-2011.pdf)). Le logement social a souvent une mission plus large que de mettre un terme au sans-abrisme, notamment la reconversion de certains bâtiments et la gestion stratégique du marché du logement sur un territoire. Les services de logement d’abord doivent parfois négocier et mettre en avant un dossier de demande de logement auprès d’un bailleur social.
- En acceptant que les bailleurs sociaux puissent avoir les mêmes réticences à l’égard des personnes anciennement sans abri ayant des besoins élevés d’accompagnement que certains bailleurs privés. Les bailleurs sociaux peuvent craindre des problèmes liés à la gestion du logement de la part des usagers tels que des conflits de voisinage ou des loyers impayés.
- En étant préparé à proposer aux bailleurs sociaux de gérer le logement, en garantissant par exemple le paiement du loyer et le traitement de tout problème de type conflit de voisinage par le service de logement d’abord. Cela peut se révéler particulièrement utile quand un usager a précédemment été expulsé par un bailleur social.
- En s’impliquant avec les systèmes d’allocations qui regroupent de multiples bailleurs sociaux, quand ceux-ci existent. Tous les bailleurs sociaux d’une ville ou d’une région peuvent faire partie d’un système commun dans le cadre duquel les personnes éligibles à un logement social font une demande unique qui est transmise simultanément à tous les bailleurs sociaux. Les usagers des services de logement d’abord peuvent avoir besoin d’aide pour introduire leur demande, qui doit parfois se faire en ligne, dans le cadre de ce système.
- En mettant en place un protocole de travail, ou un accord, en vertu duquel un nombre minimum de logements sont mis à disposition chaque année. Un bailleur social peut par exemple accepter d’allouer 5% des logements disponibles aux usagers du service sur une période de trois ans. Dans le cas de grands bailleurs sociaux, une municipalité ou une ONG fournissant la totalité ou la plupart des logements sociaux d’une ville, par exemple, ce pourcentage peut être moindre.
- En parvenant à un accord formel aux termes duquel les usagers d’un service de logement d’abord obtiennent davantage de points ou une pondération supérieure dans le système d’allocation des logements sociaux. Il peut s’agir du système d’allocation pour un bailleur social unique ou de points supplémentaires dans un système de locations basé sur le choix et couvrant plusieurs bailleurs sociaux.