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3.3. L’intégration sociale

Le logement d’abord envisage l’intégration sociale comme le fait de permettre aux personnes sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement de vivre de façon aussi autonome que possible dans un logement ordinaire et dans un quartier ordinaire. Dans le cadre de cette approche, on considère que l’intégration sociale est le résultat d’une certaine normalisation de la situation de vie liée à l’accès au logement. En donnant aux personnes anciennement sans domicile la possibilité de vivre de la même façon que n’importe qui d’autre, avec les mêmes possibilités de choix et d’interactions sociales avec le voisinage que n’importe qui d’autre, le logement d’abord cherche à promouvoir l’intégration sociale((Tsemberis, S. (2010) Housing First: The Pathways Model to End Homelessness for People with Mental Illness and Addiction Minnesota: Hazelden; Johnson, G., Parkinson, S. and Parsell, C. (2012) Policy shift or program drift? Implementing Housing First in Australia AHURI Final Report No. 184 http://www.ahuri.edu.au/publications/download.asp ContentID=ahuri_30655_fr&redirect=true Pleace, N. et Quilgars, D. (2013) Improving Health and Social Integration through Housing First: A Review Bruxelles: DIHAL/FEANTSA. Voir reference ci-dessus.)).

L’intégration sociale est centrée sur l’accompagnement émotionnel et concret qui permet à quelqu’un de faire partie de la société de différentes façons. Pour que la vie soit gratifiante, on a besoin «idéalement» d’avoir un compagnon/une compagne et/ou une famille et des amis qui nous donnent confiance en nous, qui nous valorisent, nous tiennent compagnie et nous soutiennent de façon informelle. On a besoin de sentir que l’on fait partie de la société, que l’on y est accepté, et que l’on n’est pas stigmatisé par nos voisins ou par nos concitoyens. Il est en outre important qu’une personne ait des objectifs via une activité structurée et enrichissante, élément important pour le développement de l’estime de soi.

Le sans-abrisme, en particulier lorsqu’il s’agit d’une situation qui se répète ou perdure depuis longtemps, brise souvent les liens tissés par la personne et les éléments d’une vie sociale large. Quelqu’un qui est sans domicile vit souvent sans partenaire, sans contact avec sa famille et sans amis. Cette personne peut être stigmatisée et rejetée par les personnes qui l’entourent et se sentir isolée de la société dans sa globalité. Le logement d’abord se construit autour de la reconnaissance du fait que le manque de soutien émotionnel, d’amour, d’acceptation par la société et de place dans la société ainsi que le manque d’objectifs découlant d’une activité, quelle qu’elle soit, sont aussi préjudiciables pour une personne sans domicile que des symptômes non pris en charge.

L’intégration sociale et la santé sont également étroitement liées. On sait depuis longtemps que le manque d’estime de soi, l’isolement et la stigmatisation sont néfastes pour la santé physique et mentale((Pleace, N. and Quilgars, D, (2013) Improving Health and Social Integration through Housing First: A Review Brussels: DIHAL/FEANTSA. Vide supra)).

3.3.1. L’organisation de l’accompagnement

On peut citer parmi les éléments permettant d’organiser l’accompagnement visant l’intégration sociale dans le cadre des services de logement d’abord:

  • L’accompagnement par les pairs, qui peut être réalisé par un autre usager d’un service de logement d’abord, par un travailleur pair spécialisé ou par un membre de l’équipe du service, toutes personnes qui sont « expertes par expérience » parce qu’elles ont vécu des expériences similaires. Un travailleur pair accompagnateur doit être employé au même titre qu’un membre de l’équipe du service de logement d’abord et ne pas être considéré comme un subalterne par rapport aux autres membres de l’équipe. Les travailleurs pairs ont une vision spècifique parce que leur expérience reflète celle des usagers et ils peuvent constituer un exemple positif pour eux.
  • Les conseils, les informations, l’accompagnement concret et émotionnel des membres du personnel – centrés sur des visites hebdomadaires – comprennent par exemple:
    • Favoriser l’accès à l’éducation, à la formation, au bénévolat, à un emploi rémunéré et à d’autres activités structurées et productives comme des activités artistiques ou citoyennes.
    • Favoriser la création ou la remise en place du soutien social. Cela peut consister, par exemple, à encourager la participation à des activités sociales ou à apporter un soutien concret pour que la personne participe à une réunion familiale (payer le coût du transport, par exemple).
    • Fournir des informations, des conseils et un soutien émotionnel aux usagers des services de logement d’abord. Ces visites hebdomadaires sont l’occasion pour les usagers de parler de ce qui les préoccupe.

3.3.2. L’accompagnement proposé

L’intégration sociale n’est pas un concept figé, mais un ensemble d’éléments liés entre eux qui requièrent différents niveaux et différentes formes d’accompagnement. Une personne qui a été sans domicile pendant une longue période ou de façon répétée peut se retrouver totalement coupée de sa famille, par exemple, mais une autre personne dans la même position peut avoir maintenu des relations familiales positives en dépit des circonstances difficiles. Il n’y a pas de situation ou de besoin unique en matière d’intégration sociale et le logement d’abord doit proposer un éventail de services souples à cet égard. On peut citer par exemple:

  • L’accompagnement émotionnel. Celui-ci peut être fourni par un membre de l’équipe, à raison d’une fois par semaine. Ce dernier va s’intéresser à l’usager, écouter ses inquiétudes et lui apporter une aide concrète. Cette relation doit être maniée avec prudence, mais les usagers des services de logement d’abord lui accordent souvent beaucoup d’importance.
  • La participation à la vie sociale. Cela fait partie intégrante des services de logement d’abord parce que l’on insiste beaucoup sur le fait de fournir un logement qui permette à quelqu’un de vivre au sein d’environnement social et d’en faire partie. Participer aux activités sociales ou, à plus petite échelle, faire ses courses dans les magasins du quartier et parler aux voisins constituent des formes d’intégration sociale promues par le logement d’abord. Une fois logés, les usagers des services de logement d’abord participent spontanément à la vie de leur quartier, mais le membre de l’équipe peut également les accompagner et les encourager dans ce sens. Cela peut prendre différentes formes: les accompagner dans un magasin du quartier, à une activité dans le quartier, être présent quand ils rencontrent leurs voisins, etc.
  • Le soutien social de la part d’un partenaire, d’amis et de membres de la famille. Cet aspect peut être facilité de différentes façons par le service   et par exemple consister à acheter un ticket de train pour que la personne puisse aller voir sa famille, mais cela peut aussi être plus complexe et se concrétiser par exemple à  accompagner l’usager lors d’une rencontre avec la famille avec qui il avait perdu le contact. Dans le cadre du programme, on peut également proposer ou faciliter l’accès à une médiation familiale, en fournissant un accompagnement psychologique et des conseils lorsque les relations entre l’usager et sa famille sont rompues et doivent être renouées. Le logement d’abord permet également de faciliter et d’encourager la socialisation, en soutenant émotionnellement l’usager qui cherche à se faire des amis ou à trouver un compagnon/une compagne et en organisant sa participation à des activités sociales ou quelquefois en l’y accompagnant.
  • La gestion des relations négatives. Il peut s’avérer difficile d’accompagner un usager dans ce domaine. Il n’est pas simple de « contrôler la porte d’entrée » d’un usager qui a vécu dans des services d’aide aux personnes sans domicile ou dans la rue pendant une longue période de temps et qui reçoit la visite d’invités plus ou moins indésirables. Les personnes vulnérables peuvent également être exploitées par d’autres personnes sans domicile quand elles sont logées dans un service de logement d’abord. Dans ce cas, le logement d’abord peut offrir un soutien concret et émotionnel à l’usager afin qu’il garde le contrôle sur son propre logement et n’accueille pas des tiers indésirables ou pour que son logement ne soit pas involontairement un lieu de nuisances ou de comportements délictueux.
  • Comportement problématique, délictueux et nuisances. Ces caractéristiques concernent certains usagers des services de logement d’abord. On peut gérer ce type de problèmes en partie grâce à l’accès aux traitements. Les problèmes de bruit et de nuisances qui dérangent les voisins, par exemple, sont souvent liés à la consommation de drogue et d’alcool, pouvant être liée à des troubles psychiques qui doivent être pris en charge. Les membres du personnel du service de logement d’abord peuvent également « coacher » les usagers ou leur permettre d’avoir accès à des services ou à des activités qui leur permettent de mieux gérer la communication interpersonnelle grâce à une meilleure gestion émotionnelle. Dans ce type de cas, plusieurs types d’accompagnement peuvent être utiles. Cela peut aller de conseils en matière d’activités artistiques ou au fait de parler de ces problèmes avec l’équipe d’accompagnateurs du service.
  • La gestion de la stigmatisation. Cela peut constituer un problème pour les personnes sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement, à la fois parce qu’elles peuvent faire l’objet de préjugés en raison de leur expérience en tant que sans-abri et parce qu’elles peuvent avoir d’autres traits distinctifs (par exemple avoir des troubles psychiques sévères ou avoir été en prison) qui engendrent de la crainte ou des réactions négatives de la part des autres personnes. L’une des manières de gérer la stigmatisation est de se fondre dans la masse c’est-à-dire apparaître comme n’importe qui d’autre. En insistant sur l’importance de vivre une vie ordinaire dans un quartier ordinaire, l’un des objectifs clés du service basé sur l’approche « Housing First », développée à l’origine par le Dr. Sam Tsemberis, était de surmonter les obstacles qui pouvaient exister entre les personnes sans domicile, la société et l’intégration sociale. En se fondant dans la masse et en vivant de la même façon que n’importe qui d’autre, les barrières sociales qui existent entre un citoyen logé et une personne sans domicile dans la rue ou dans un service d’aide aux personnes sans domicile sont potentiellement réduites. De même, quand un usager choisit de suivre son traitement et de s’orienter vers le rétablissement, les marqueurs – ou l’ensemble des caractéristiques des comportements – à l’origine de la stigmatisation se voient réduits. On considère dans le cadre du logement d’abord que le fait de vivre au sein d’un environnement social et d’en faire visiblement partie crée l’espace nécessaire pour surmonter la stigmatisation.
  • Une activité structurée et enrichissante. Cela s’avère particulièrement important pour que l’usager ait un objectif, ce qui promeut son estime de soi. On peut l’amener à participer à ce type d’activités, avec en point de mire un emploi bénévole ou rémunéré (voir ci-dessous). Au Royaume-Uni et en Finlande ainsi qu’ailleurs en Europe et en Amérique du Nord, on utilise les activités artistiques pour aider les personnes sans domicile à s’impliquer dans une activité structurée et à travailler avec d’autres, ce qui promeut leur estime de soi et leurs capacités émotionnelles. Cela peut constituer une fin en soi, ou être utilisé dans le cadre d’un processus visant à convaincre et à accompagner les personnes sans domicile à se lancer dans des études (formation initiale ou formation professionnelle). Les services de logement d’abord peuvent fournir ces services directement ou utiliser la gestion des cas et un accompagnement concret direct et émotionnel afin d’encourager les personnes sans domicile à travailler avec les services locaux.
  • Un emploi rémunéré. C’est possible pour certains usagers bien qu’il leur faille un temps et un accompagnement important avant que cela ne devienne une perspective réaliste. Soutenir les personnes dans leur recherche d’emploi rémunéré est l’une des caractéristiques des programmes de logement d’abord((Le programme Un chez soi d’abord en France a développé un partenariat sur la base du modèle de placement et de soutien individuels (IPS) (Douglas Institute, Montreal). Le programme « Working First » à Marseille vise à faciliter l’accès au travail des usagers du logement d’abord et à les accompagner dans cette démarche.)). Le cheminement vers une activité économique formelle peut impliquer de démarrer avec des activités artistiques, de poursuivre avec une formation et finalement du bénévolat, pour parvenir à pouvoir postuler à un emploi. L’attitude des employeurs et le contexte économique constituent des facteurs importants d’exclusion à l’emploi. Les services de logement d’abord doivent parfois travailler directement avec les employeurs afin de les encourager à prendre en considération le fait de proposer un travail à un usager du service (cela fonctionne à peu près de la même façon avec les propriétaires du secteur locatif privé, voir le chapitre 4).
  • La sécurité ontologique. On fait ici référence à ce que l’on peut appeler le sentiment de sécurité et de prévisibilité dans la vie. L’approche du logement d’abord est centrée sur ce rôle qui consiste à procurer un logement stable à quelqu’un. Le fait d’être déconnecté des autres personnes, de la société et de l’environnement local se produit lorsque l’on est sans-abri parce que l’on n’a pas de place au sein de la société, plus directement parce que l’on n’a pas de chez soi, mais également parce que cette absence de logement stable mine ou enlève toute probabilité d’avoir une place dans l’environnement social ou, plus largement, dans la vie sociale et économique. En donnant comme point de départ à quelqu’un son propre logement, le logement d’abord poursuit l’objectif de donner aux personnes sans domicile ayant des besoins élevés d’accompagnement une place dans la société. Cette approche vise l’insertion des personnes sans domicile dans la société à ce niveau fondamental, en utilisant le logement pour leur donner le sentiment de sécurité, d’assurance et de prévisibilité qui découle du fait de savoir où l’on vit et que l’on est à sa place((Padgett, D.K. (2007). There’s no place like (a) home: Ontological security among persons with serious mental illness in the United States. Social science & medicine, 64(9), 1925-1936, p. 1934.)).

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En mettant l’accent sur l’accompagnement en matière d’insertion sociale, le logement d’abord vise un ensemble de besoins qui sont aussi importants pour le « rétablissement » que l’accès à un logement stable et à un traitement. Il est toutefois toujours important de ne pas perdre de vue les valeurs fondamentales de choix et de contrôle du modèle logement d’abord((Hansen Löfstrand, C. and Juhila, K. (2012) The Discourse of Consumer Choice in the Pathways Housing First Model European Journal of Homelessness 6(2), 47-68 http://housingfirstguide.eu/website/the-discourse-of-consumer-choice-in-the-pathways-housing-first-model/)). Cette approche vise à créer des possibilités d’intégration sociale dans un cadre où l’on met l’accent sur le « rétablissement », mais également sur le choix. L’utilisation du logement d’abord ne doit pas signifier que l’on attend de quelqu’un qu’il se comporte d’une manière bien définie.  Personne ne devrait se trouver contraint de parler à un voisin ou de participer à un cours ou à une activité sociale s’il ne le souhaite pas, parce qu’un autre citoyen ordinaire, dans une maison ordinaire, pourrait exercer un choix en la matière.